- DISCOURS
Préserver la liberté de chacun d’utiliser un moyen de paiement public – Éclairages sur la phase préparatoire de l’euro numérique
Déclaration introductive de Piero Cipollone, membre du directoire de la BCE, devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen
Bruxelles, le 14 février 2024
Je vous remercie de l’occasion qui m’est offerte de m’exprimer devant cette commission aujourd’hui. Comme je l’ai souligné lors de mon audition de confirmation, je m’engage à perpétuer activement le dialogue entretenu avec le Parlement européen au sujet d’un euro numérique.
Cette année marque le 25e anniversaire de l’euro et de notre union monétaire, et c’est à nous qu’il incombe de veiller à ce que tous deux restent adaptés à l’ère numérique. Le paquet « monnaie unique »[1] nous aidera à y parvenir, premièrement en garantissant que les espèces restent largement accessibles et acceptées, et deuxièmement en offrant, en complément, une solution numérique qui permette de régler avec de la monnaie de banque centrale.
Un euro numérique serait un moyen de paiement européen qui pourrait être utilisé gratuitement, pour tout règlement numérique, partout dans la zone euro. Conjointement aux espèces, il préserverait la liberté de chacun en Europe d’utiliser un moyen de paiement public.
Pourtant, nous risquons de considérer cette liberté comme acquise. Dans mes précédentes fonctions, j’ai reçu d’innombrables lettres de maires, des régions montagneuses notamment, dans lesquelles ceux-ci exprimaient des craintes quant à l’éloignement croissant du distributeur de billets le plus proche.
L’euro fiduciaire et l’euro numérique partagent le même objectif : faire en sorte que chacun, quels que soient ses revenus, puisse payer dans toutes les situations de la vie quotidienne. Il s’agit là d’un droit fondamental. Et il devrait être protégé de la même manière dans toutes les régions de la zone euro.
Le moment est bien choisi pour parler d’un euro numérique : en tant que colégislateurs, vous examinez actuellement la proposition législative de la Commission européenne, tandis que l’Eurosystème a lancé la phase préparatoire de l’euro numérique en novembre dernier[2].
Vos délibérations législatives guident, et continueront de guider, nos travaux techniques. L’Eurosystème se tient prêt à apporter, le cas échéant, une contribution technique aux travaux des colégislateurs européens. Soyez assurés que le Conseil des gouverneurs ne prendra aucune décision quant à l’émission d’un euro numérique avant l’adoption de l’acte législatif. Cet acte définit le cadre dans lequel sera établi l’euro numérique comme monnaie ayant cours légal. Bien sûr, nous honorerons pleinement et à tout moment notre obligation de rendre compte, et vous tiendrons régulièrement et étroitement informés des progrès de l’Eurosystème sur la voie d’un euro numérique, non seulement à ce stade, mais également après la conclusion des délibérations législatives.
Permettez-moi à présent de faire le point sur quatre axes essentiels de notre phase préparatoire : 1) la recherche de prestataires potentiels pour élaborer une plateforme et une infrastructure pour un euro numérique, 2) la préparation du recueil de règles pour un euro numérique, 3) la garantie de la stabilité du système financier, et enfin 4) l’offre d’une meilleure protection de la vie privée pour les paiements numériques.
Recherche de prestataires potentiels pour le développement de la plateforme et de l’infrastructure de l’euro numérique
Au début de l’année, nous avons engagé le processus de sélection en vue de trouver des prestataires potentiels pour développer, le cas échéant, la plateforme et l’infrastructure de l’euro numérique[3].
Que les choses soient claires : nous ne lançons pas de travaux de développement dans l’immédiat. Notre intention est plutôt d’établir des accords-cadres qui pourraient être utilisés dans les années à venir pour mettre au point les composantes adéquates si la décision est prise de lancer un euro numérique[4]. Nous devons nous préparer à cette éventualité. Notre réactivité serait compromise si nous ne commencions à nous mettre en quête d’éventuels fournisseurs qu’une fois cette décision prise. En aucune manière, nous ne nous lions les mains en recherchant des prestataires potentiels dès à présent. Les accords seront suffisamment souples pour s’adapter aux délibérations législatives ou aux avancées technologiques. Du reste, si nous devions décider de ne pas lancer un euro numérique, nous ne signerions aucun contrat.
Un dialogue plus étroit avec des prestataires externes nous permettra de mieux appréhender les possibilités technologiques disponibles et les choix à formuler. Ce point est particulièrement crucial pour les composantes qui ne sont pas encore sur le marché, telles que la fonctionnalité hors ligne d’un euro numérique.
Afin de renforcer notre autonomie, notre résilience et notre sécurité, un euro numérique s’appuierait sur une infrastructure européenne. En ce sens, seules les personnes morales ayant leur siège social dans l’UE et contrôlées par de telles entités ou par des ressortissants de l’UE[5] pourront participer à la procédure de passation de marché[6] .
À ce stade, nous avons lancé des appels à candidatures en vue d’établir des accords-cadres avec des fournisseurs potentiels de composantes et de services connexes pour un euro numérique.
Les résultats du processus d’appel d’offres qui suivra seront publiés sur notre site Internet.
Préparation du recueil de règles pour un euro numérique
Il n’existe actuellement aucun moyen de paiement numérique européen qui soit universellement accepté dans la zone euro. C’est pourquoi les Européens, qu’il s’agisse des consommateurs, des commerçants ou des banques, sont contraints de recourir à des solutions de cartes internationales toujours plus onéreuses pour les paiements du quotidien. Les frais appliqués par les systèmes de paiement internationaux ont pratiquement doublé entre 2016 et 2021 dans l’Union européenne[7]. En outre, ces solutions de cartes internationales ne peuvent pas être utilisées partout.
Un euro numérique permettrait de remédier à cette situation, en mettant fin à la longue dépendance de l’Europe et en favorisant la concurrence. À cette fin, chacun devrait pouvoir, dans la zone euro, effectuer ou recevoir des paiements en euros numériques, quel que soit son intermédiaire ou son pays d’origine, comme c’est actuellement le cas pour les espèces.
C’est pourquoi nous avons besoin d’un recueil de règles applicables à un euro numérique. Nous travaillons à l’élaboration de ce recueil en collaboration avec des représentants des consommateurs, des commerçants et des intermédiaires[8]. Un rapport d’étape à ce sujet a été récemment publié[9].
Ce recueil définira un ensemble unique de règles, de normes et de procédures qui permettra une mise en œuvre harmonieuse de l’euro numérique. Ceci garantira, par exemple, qu’un utilisateur originaire de Finlande puisse payer en utilisant l’euro numérique de la même manière et avec autant de facilité à Lisbonne que chez lui, à Helsinki.
Un euro numérique fournirait ainsi une infrastructure alternative pour tous les paiements quotidiens, qui pourrait être utilisée par les prestataires de services de paiement et les dispositifs, tels que l’initiative européenne pour les paiements (European Payments Initiative), Bizum ou Bancomat, pour déployer des solutions de paiement instantané dans l’ensemble de la zone euro. Une telle organisation permettrait de réduire notre dépendance à l’égard d’intervenants non européens tout en stimulant la concurrence parmi les acteurs européens.
Pour établir une analogie ferroviaire, l’infrastructure d’un euro numérique s’apparenterait à une voie européenne commune que pourraient emprunter différents opérateurs pour exploiter leurs trains et se livrer concurrence sans devoir déployer leurs propres rails, comme c’est le cas pour le système de paiement actuel. En outre, les prestataires privés de services de paiement pourraient lancer des produits nouveaux et innovants ou étendre leur périmètre au-delà de leurs utilisations et marchés nationaux actuels. Il s’agirait ainsi d’une nette amélioration par rapport à la situation présente.
Garantir la stabilité du système financier
Les consommateurs affichent une préférence de plus en plus marquée pour les paiements numériques[10]. Cependant, la monnaie de banque centrale n’est pour le moment disponible que sous forme physique : les espèces. Par conséquent, si nous ne proposons pas d’euro numérique, nous prenons le risque que la monnaie de banque centrale soit évincée des moyens de paiement.
Notre objectif est de protéger le rôle de la monnaie de banque centrale et sa part dans les paiements, pas de remplacer la monnaie privée. Comme cela ressort clairement de la proposition législative de la Commission européenne, préserver le rôle de la monnaie de banque centrale ne devrait pas se faire au détriment d’autres objectifs, tels que la protection de la transmission de la politique monétaire ou de la stabilité financière. Et nous sommes, quoi qu’il en soit, tenus à la réalisation de ces objectifs, qui sont au cœur du mandat de la BCE.
Voilà pourquoi nous avons intégré des garde-fous dans la conception d’un euro numérique.
Premièrement, comme pour les billets en euros, les avoirs en euros numériques ne seraient pas rémunérés et ne feraient donc pas concurrence aux dépôts d’épargne[11]. Par ailleurs, les banques pourraient toujours offrir une rémunération plus élevée pour conserver les dépôts, ce qui bénéficierait aux épargnants et pourrait de fait augmenter la base de dépôts, favorisant ainsi les prêts bancaires[12].
Deuxièmement, des limites seraient fixées au montant d’euros numériques pouvant être détenu par les particuliers. Les entreprises et les organisations du secteur public, quant à elles, seraient en mesure de recevoir et de traiter les paiements en euros numériques mais ne pourraient pas en détenir[13].
Troisièmement, les utilisateurs pourraient régler en ligne avec des euros numériques sans avoir à approvisionner au préalable leur portefeuille, en reliant facilement leur compte en euros numériques à un compte de paiement ouvert auprès de leur banque. Cela leur permettrait d’effectuer et de recevoir des paiements en ligne en toute facilité, même au-delà de leurs dépôts en euros numériques et de la limite de détention[14]. Toutefois, pour utiliser la fonctionnalité « hors ligne », il leur faudrait transférer en amont de l’argent vers leur portefeuille hors ligne, comme on le fait aujourd’hui lorsque l’on retire des billets pour payer en espèces.
Ces caractéristiques montrent que l’euro numérique est conçu dans l’optique d’être un moyen de paiement et non une forme d’investissement. Il préserverait en outre le rôle des intermédiaires, contrairement aux solutions alternatives proposées par les entreprises technologiques, qui ne comporteront pas ces garde-fous[15].
Nous commençons tout juste à élaborer le cadre analytique et les modèles qui seront utilisés pour déterminer la limite de détention. Cette limite sera fixée à un niveau permettant de préserver la stabilité financière, après évaluation de son incidence sur les différents modèles d’activité des banques ainsi que sur la transmission et la mise en œuvre de la politique monétaire.
Il s’agit là d’une initiative à l’échelle de l’Eurosystème et nous dialoguerons avec les banques et autres intervenants de marché en vue d’élaborer de manière adéquate les hypothèses nécessaires et de définir la méthodologie analytique. Nous partagerons nos conclusions avec vous et avec le grand public. Je peux vous assurer que les questions liées à la stabilité financière sont au centre de nos réflexions, car elles sous-tendent notre capacité à accomplir notre mandat de maintien de la stabilité des prix.
Offrir une meilleure protection de la vie privée pour les paiements numériques
Permettez-moi à présent d’évoquer l’une des caractéristiques les plus importantes à prendre en compte dans la conception d’un euro numérique : la protection de la vie privée. Nous accueillons favorablement le niveau élevé de protection de la vie privée et des données prévu dans la proposition de règlement. En définitive, c’est aux colégislateurs européens qu’il incombe d’en décider.
Pour notre part, nous sommes déterminés non seulement à garantir la protection de la vie privée lors des paiements mais également à la renforcer.
Premièrement, nous fournissons déjà les espèces, le moyen de paiement garantissant la plus grande confidentialité. Nous sommes déterminés à continuer dans cette voie, comme le montrent les efforts que nous déployons actuellement pour produire la troisième série de billets en euros[16]. Nous ne cesserons de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que les consommateurs continuent d’avoir la possibilité de payer en espèces. Ils y sont attachés et nous sommes résolus à ce qu’ils la conservent[17].
Deuxièmement, il serait possible d’utiliser l’euro numérique hors ligne. Ce mode de paiement serait comparable aux espèces : il nécessiterait une proximité physique et offrirait un niveau de confidentialité similaire. En effet, seuls le payeur et le bénéficiaire connaîtraient les détails personnels de la transaction.
Troisièmement, un euro numérique permettrait aux utilisateurs d’effectuer des paiements en ligne en bénéficiant d’un niveau élevé de protection de la vie privée, qui serait d’ailleurs supérieur à celui actuellement offert par les solutions commerciales. L’Eurosystème ne serait pas en mesure d’identifier des utilisateurs à partir des paiements qu’ils effectuent[18]. Nous n’aurions accès qu’à un nombre très limité de données pseudonymisées, nécessaires à l’accomplissement des missions de l’Eurosystème, comme le règlement[19]. Les utilisateurs d’un euro numérique pourraient par ailleurs décider comment leurs données sont utilisées par les prestataires de services de paiement[20], qui auraient accès aux données clients pour prévenir les activités illicites, telles que le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme[21], mais également pour remplir leurs obligations contractuelles à l’égard des clients, tout en respectant l’ensemble des réglementations applicables en matière de de protection de la vie privée, notamment le règlement général sur la protection des données. Dans son avis relatif à l’euro numérique, la BCE suggère également d’envisager la possibilité d’offrir une protection accrue de la vie privée pour certains paiements à faible risque et de faible montant en euros numériques dans le mode « en ligne »[22].
Quatrièmement, nous mettrions en œuvre les mesures les plus avancées en matière de sécurité et de protection de la vie privée.
Nous mettrons également en place des garde-fous solides pour ce qui a trait à la gouvernance. Des autorités indépendantes contrôleront le respect des règles et réglementations européennes en matière de protection des données, qui sont les plus strictes à l’échelle mondiale. En outre, certaines dispositions de la proposition de règlement prévoient que les autorités de protection soient consultées en amont[23].
Conclusion
Je voudrais à présent conclure mon propos.
L’euro numérique est un projet européen commun.
Il s’agit avant tout de préserver la liberté de chacun d’utiliser un moyen de paiement public partout dans la zone euro, même à l’ère des paiements numériques. Et il est primordial de renforcer notre capacité de résistance collective et notre autonomie dans un environnement international plus fragile.
Voilà pourquoi il est si important de définir une trajectoire ambitieuse. Mais la monnaie doit être synonyme de confiance. L’euro numérique devra recevoir un large soutien. Nous sommes par conséquent attachés à contribuer à vos travaux de colégislateurs. Et nous collaborons avec toutes les parties prenantes.
C’est dans cet esprit que je reste à votre disposition pour échanger avec vous tout au long de la phase préparatoire et au-delà. Ensemble, nous pouvons bâtir l’avenir numérique de l’euro.
Merci.
En juin 2023, la Commission européenne a présenté deux propositions visant à garantir que les particuliers et les entreprises puissent continuer d’accéder aux billets et pièces en euros et de les utiliser pour payer dans la zone euro, et à établir un cadre pour une nouvelle forme numérique de l’euro que la Banque centrale européenne pourrait émettre à l’avenir, en complément de la monnaie fiduciaire. Cf. Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au cours légal des billets de banque et des pièces en euros, Commission européenne, COM(2023) 364 final, 28 juin 2023, et Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant l’euro numérique, Commission européenne, COM(2023) 369 final, 28 juin 2023.
Pour de plus amples informations, cf. lettre du 3 janvier 2024 de Piero Cipollone à Irene Tinagli, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen intitulée « Update on work of digital euro Rulebook Development Group and start of selection procedure for potential digital euro providers » (état d’avancement des travaux du groupe d’élaboration du recueil de règles pour un euro numérique et lancement de la procédure de sélection de prestataires potentiels pour un euro numérique).
Pour plus d’informations, cf. BCE, « Calls for applications for digital euro component providers » (appels à candidatures des fournisseurs de composantes pour un euro numérique), MIP News, 3 janvier 2024, et la lettre de Piero Cipollone à Irene Tinagli, op. cit.
Les accords-cadres ainsi établis pourraient servir au développement des composantes suivantes : 1) la recherche d’alias, 2) l’échange sécurisé d’informations de paiement, 3) la gestion des fraudes et des risques, 4) la composante hors ligne, et 5) une application consacrée à l’euro numérique ainsi qu’un kit de développement logiciel connexe. Ces accords-cadres ne couvriraient qu’une partie du périmètre des services qui seraient proposés pour un euro numérique, tandis que d’autres éléments, tels que la composante règlement, seraient fournis en parallèle au sein de l’Eurosystème.
Le terme « ressortissant de l’UE » s’entend pour toute entité juridique dont le siège social se situe dans un État membre de l’UE ou toute personne physique possédant la nationalité d’un État membre de l’UE.
Les critères d’éligibilité applicables aux soumissionnaires valent également pour les sous-traitants.
De 0,08 % à 0,15 % par transaction. Cf. CMSPI et Zephyre, Scheme Fee Study (étude des tarifs des systèmes de paiement), 2020.
L’Eurosystème a mis en place un groupe d’élaboration du recueil de règles applicables au dispositif d’euro numérique, afin d’obtenir le point de vue du secteur financier, des consommateurs et des commerçants. Ce groupe se compose de 22 spécialistes des secteurs public et privé ayant de l’expérience dans les domaines de la finance et des paiements. Cf. BCE, « Members of the Rulebook Development Group » (membres du groupe d’élaboration du recueil de règles), 15 février 2023. Au cours des dix derniers mois, ce groupe a œuvré à la préparation d’un projet de recueil de règles applicables à un euro numérique, et poursuivra ses travaux cette année.
Cf. BCE, « Update on the work of the digital euro scheme’s Rulebook Development Group » (état d’avancement des travaux du groupe d’élaboration du recueil de règles applicables au dispositif d’euro numérique), 3 janvier 2024, et la lettre de Piero Cipollone à Irene Tinagli, op. cit.
Cf. BCE, Study on the payment attitudes of consumers in the euro area (SPACE) (étude sur les comportements des consommateurs en matière de paiement dans la zone euro), décembre 2022.
Cf. BCE, « A stocktake on the digital euro » (le point sur l’euro numérique), 18 octobre 2023. Ce rapport présente les conclusions de la phase d’étude du projet d’euro numérique et constitue le fondement des travaux menés au cours de la phase préparatoire. Cf. également l’avis de la Banque centrale européenne du 31 octobre 2023 relatif à l’euro numérique (CON/2023/34).
Cf. Andolfatto, D., Assessing the Impact of Central Bank Digital Currency on Private Banks (évaluation de l’incidence de la monnaie numérique de banque centrale sur les banques privées), The Economic Journal, volume 131, no 634, pp. 525-540, février 2021. Cet article conclut que le lancement d’une monnaie numérique de banque centrale n’est pas préjudiciable à l’activité de prêt des banques et peut même, dans certaines circonstances, servir à l’encourager. La pression concurrentielle entraîne une hausse du taux des dépôts, ce qui réduit les bénéfices mais accroît le financement par les dépôts grâce à une meilleure inclusion financière et une augmentation de l’épargne projetée.
Les paiements reçus par les entreprises et les organisations du secteur public seraient transférés immédiatement vers le compte ouvert auprès de leur banque commerciale. Les paiements qu’ils effectueraient seraient débités instantanément de ce même compte.
La fonctionnalité en cascade permettrait aux utilisateurs d’effectuer ou de recevoir des paiements en euros numériques supérieurs à la limite de détention en reliant un compte en euros numériques à un compte ouvert auprès d’une banque commerciale. Il serait alors possible, lors de la réception d’un paiement, de convertir automatiquement un montant en monnaie numérique de banque centrale de détail dépassant un certain seuil de détention en un dépôt bancaire détenu sur un compte lié ouvert auprès d’une banque commerciale choisi par l’utilisateur final. Réciproquement, une cascade inversée permettrait aux utilisateurs finaux d’effectuer un paiement même si son montant dépasse leurs dépôts en euros numériques courants. Des liquidités supplémentaires seraient retirées du compte correspondant détenu auprès d’une banque commerciale et la transaction serait finalisée pour la totalité du montant.
Le scénario contrefactuel d’un euro numérique n’est pas un statu quo rassurant. En l’absence d’un euro numérique, l’émergence d’intervenants privés potentiellement dominants sur le marché des paiements numériques pourrait avoir une forte incidence sur le secteur financier. Il s’agit d’une réelle possibilité, comme le montre la récente décision de PayPal de lancer sa propre cryptomonnaie stable (stablecoin) libellée en dollars en vue d’une utilisation pour les paiements numériques. Les prestataires privés de services de paiement, dont PayPal fait partie, ne sont pas incités à limiter l’utilisation de leurs stablecoins ou la gamme des services qu’ils proposent. Bien au contraire : leur objectif est de développer leur clientèle et de gagner des parts de marché. Cf. Panetta, F., « Bâtir l’avenir numérique de l’Europe : vers un euro numérique », déclaration introductive devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, Bruxelles, 4 septembre 2023.
Cf. BCE, « La BCE retient « La culture européenne » et « Fleuves et oiseaux » comme nouveaux thèmes possibles pour les futurs billets en euros », communiqué de presse, 30 novembre 2023.
Même si l’utilisation des espèces et la préférence des consommateurs pour ce mode de paiement régressent, la monnaie fiduciaire revêt encore une grande importance. Dans l’ensemble, 60 % de la population de la zone euro estime que la possibilité de payer en espèces est très importante ou plutôt importante. Cf. BCE, Study on the payment attitudes of consumers in the euro area (SPACE) (étude sur les comportements des consommateurs en matière de paiement dans la zone euro), décembre 2022. La stratégie fiduciaire de l’Eurosystème vise à garantir que les espèces restent largement accessibles et acceptées, aussi bien comme moyen de paiement que comme réserve de valeur.
La BCE, en coopération avec des experts en technologies, étudie toutes les mesures les plus avancées en matière de sécurité et de protection de la vie privée qui seraient compatibles avec un moyen de paiement de détail de masse tel que l’euro numérique. La pseudonymisation, la séparation claire des données, le hachage et d’autres techniques cryptographiques garantiraient que l’Eurosystème ne puisse pas identifier les utilisateurs lorsqu’ils effectuent ou reçoivent des paiements en euros numériques. Les données relatives aux paiements effectués par les utilisateurs finaux seraient pseudonymisées afin que ceux-ci ne puissent pas être directement identifiés et que l’Eurosystème ne soit pas en mesure de relier les données qu’il traite à un utilisateur final déterminé. Cf. également BCE (2023), op. cit. (note de bas de page no 7).
Par sa conception, le mode « en ligne » de l’euro numérique offrirait une plus grande protection de la vie privée que les solutions de paiement numériques actuelles pour ce qui a trait aux données visibles par le fournisseur de l’infrastructure centrale consacrée au traitement des paiements. En sa qualité de fournisseur de l’infrastructure pour un euro numérique, l’Eurosystème ne serait pas en mesure d’identifier les utilisateurs à l’origine de transactions en euros numériques. Seuls les prestataires de services de paiement pourraient faire le lien entre la véritable identité de l’utilisateur final et les données relatives aux paiements traitées par le fournisseur de l’infrastructure centrale. Cette configuration est inédite dans le domaine des paiements électroniques de détail et permettrait une meilleure protection des données personnelles par rapport aux solutions de paiement actuelles. En effet, ces dernières concentrent un important volume de données de paiement dans les mains des fournisseurs d’infrastructure et de solutions de paiement, leur permettant ainsi de relier ces données aux utilisateurs finaux.
Les prestataires de services de paiement devraient obtenir l’acceptation expresse (et non tacite) des utilisateurs pour le traitement de leurs données personnelles à des fins commerciales ou pour leur proposer des services supplémentaires. Le dispositif d’euro numérique garantirait que les utilisateurs puissent prendre une décision éclairée et qu’ils ne soient pas contraints de céder leurs données personnelles (au-delà de ce qui est nécessaire pour satisfaire aux exigences juridiques) pour pouvoir utiliser pleinement les services de l’euro numérique. Cf. BCE, « A stocktake on the digital euro – Summary report on the investigation and outlook on the next phase » (le point sur l’euro numérique – rapport de synthèse sur l’expérimentation et les perspectives pour la prochaine étape), 18 octobre 2023.
Cf. Panetta, F., « Un euro numérique qui répond aux besoins du public : trouver le juste équilibre », déclaration introductive devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, Bruxelles, 30 mars 2022, et BCE, « Digital euro – Privacy options » (euro numérique : options en matière de protection de la vie privée), présentation devant l’Eurogroupe, 4 avril 2022.
Cf. l’avis de la Banque centrale européenne du 31 octobre 2023 relatif à l’euro numérique (CON/2023/34).
Cf. article 5, paragraphe 2, sur le droit applicable et article 32, paragraphe 2, sur le mécanisme général de détection et de prévention de la fraude, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant l’euro numérique, Commission européenne, COM(2023) 369 final, 28 juin 2023.
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